Nous avons le plaisir de partager avec vous une interview récente de Thierry Merven, Group CEO du Groupe Beau Vallon. Il revient sur les grands projets structurants du Groupe, son ancrage territorial dans le sud-est, et son engagement en faveur d’un développement durable, cohérent et respectueux de son patrimoine naturel et humain.

1. Monsieur Merven, pouvez-vous nous parler des projets du Groupe dans le sud-est et des investissements engagés ?
Depuis plus de 200 ans, le Groupe Beau Vallon accompagne le développement du sud-est de l’île. Nos investissements ne sont pas guidés par la seule logique d’expansion, mais aussi par une vision cohérente à long terme qui s’appuie sur l’identité et les atouts naturels du sud-est, l’essor économique de la région, plus largement de l’île, et la création d’un cadre de vie harmonieux et contemporain qui contribue à cette identité.
Nos activités sont structurées autour de quatre secteurs stratégiques : l’agriculture sucre et non sucre, l’immobilier, l’hôtellerie et les loisirs. En sus de l’activité économique générée dans la région (plus d’1.5M de CA), nos 750 employés sont issus à 75% du sud-est et nous favorisons la synergie entre pôles d’activités afin d’encourager la complémentarité et de privilégier les circuits courts : l’agriculture par exemple alimente nos hôtels et ces derniers constituent un bassin de clientèle privilégiée pour les activités de loisirs et commerces de la région.
Agriculture : vers une production diversifiée

Au niveau de Beau-Vallon Agri-business, nous exploitons 2 500 hectares, combinant culture de la canne sur 1800 ha et diversification agricole. En 2024, notre production de pomme de terre a atteint 1 450 tonnes, avec un objectif de 1 600 tonnes en 2025. Nous poursuivons la diversification de nos activités agricoles en développant également des vergers de macadamia, bananes, letchis, mangues, avocats et fruits de la passion entre autres, afin d’offrir une production locale de qualité issue de l’agriculture raisonnée. Nous avons en effet constaté un déclin de nombreux vergers dans l’île, si bien que notre initiative s’inscrit dans la relance de la culture fruitière et de l’arboriculture.
Dans une démarche d’économie circulaire et afin de réduire notre dépendance aux importations de fertilisants chimiques, nous avons récemment mis en place un parc de compost sur 1,5 arpent, cogéré avec notre partenaire BioBin. Ce processus valorise des matières premières telles que la cendre de bagasse, la fiente de poulet et les déchets verts produits par la propriété (élagages, feuilles, branches, tontes de gazon), complétées par les déchets organiques de nos hôtels et bureaux. Ce mélange riche en azote (N), phosphore (P) et potassium (K) constitue une véritable source de fertilité pour nos cultures.
Nous avons également investi dans la plantation de 180 hectares d’eucalyptus, la plus importante de l’île actuellement, avec une production estimée à 60-70 tonnes de bois par hectare, afin d’alimenter en biomasse une filière énergétique plus propre et de contribuer aux objectifs d’énergie renouvelable du pays. Cependant, la formule de rémunération actuelle des « woodchips » ne permet pas d’assurer la viabilité de cette filière ni d’étendre les plantations. Enfin, nous avons engagé des investissements dans l’élevage de cerfs, en optimisant l’alimentation et la gestion des troupeaux pour améliorer la qualité de la viande qui est déjà distribuée dans les trois hôtels du groupe et ainsi que dans la boucherie de la propriété, et qui sera bientôt vendue aux commerces et autres hôtels de la région.
Immobilier : des espaces de vie intégrés

Notre projet phare, Pointe d’Esny Le Village, développé sous le Property Development Scheme (PDS), représente un investissement conséquent pour le groupe. Dès sa conception, la préservation de l’environnement a été au cœur de notre approche. Un programme de restauration de zones humides, lancé il y a trois ans en collaboration avec des experts locaux et internationaux, s’étend sur 125 000 m². Il vise l’élimination des espèces exotiques envahissantes et la réintroduction de plantes endémiques adaptées au site et à son climat. A ce jour, plus de 1,000 arbres et palmiers indigènes ont été replantés, avec un investissement de Rs 8 millions consacré à ces efforts de conservation.
Dans cette même logique, nous avons mis en place une gestion innovante des eaux pluviales grâce au système Triton. Ce dispositif, soutenu par le programme SUNREF Maurice et l’Agence Française de Développement (AFD), est conçu pour protéger les zones humides et prévenir les inondations. Il fonctionne à travers un réseau de bassins de rétention pour capter et filtrer l’eau de pluie permettant ainsi une percolation lente vers les zones humides. Avec l’utilisation de ce système, la vitesse d’écoulement des eaux pluviales est atténuée et permet donc de recharger et préserver les zones humides naturelles environnantes, tant en évitant les débordements.
Au niveau des biens résidentiels, l’architecture a été pensée pour s’intégrer harmonieusement à son environnement. Constructions basses de style tropical, avec des toitures en bardeaux, des pierres naturelles et des teintes chaudes qui se fondent dans la végétation. L’offre est multiple, comprenant des terrains à bâtir, des appartements, des duplex et des villas, tous développés selon la formule ‘Vente en l’état futur d’achèvement’ (VEFA), garantissant ainsi l’achèvement des travaux et une réalisation conforme au cahier des charges architectural. Les travaux d’infrastructure du site ont été achevés en septembre 2023, 102 lots à bâtir ont déjà été vendus et le premier ensemble immobilier en VEFA « Appartements du Rivage sud », est en cours de construction pour être livré en octobre 2025. La construction des premières villas démarre en mai. Aujourd’hui, les villas authentiques et une dizaine de duplex avec un emplacement exclusif sont en cours de commercialisation. Au cœur du projet, La Place du Village sera un lieu de vie convivial où habitants et visiteurs de passage se retrouvent autour de commerces de proximité, de restaurants et cafés.
Nous lancerons bientôt la commercialisation d’un projet d’écoquartier appelé les Berges de Beau Vallon situé à l’emplacement de la première usine sucrière du Groupe, à Beau Vallon.
Les Berges de Beau Vallon sera un lieu dynamique et attractif, pensé pour les usagers. Quartier de courtes distances, il fera la part belle à la mobilité douce et comprendra des espaces de loisirs et culturels, un lieu pour les artistes, des espaces d’exposition couverts ou en plein air, un « food market », un parc sur les berges de la rivière, ainsi que des espaces bureaux et commerciaux combinés à une offre résidentielle variée.
Hôtellerie : une approche authentique et respectueuse

Plusieurs projets sont en cours pour renforcer l’attractivité de notre pôle hôtelier. Nous prévoyons de rénover le Solana Beach Mauritius à Belle-Mare au cours de l’année 2026, et de transformer Astroea Beach en beach club, afin d’offrir une expérience balnéaire plus exclusive tout en honorant nos engagements vis-à-vis de Pointe D’Esny Le Village.
En parallèle, nous avons enclenché plusieurs actions et projets pour réduire notre empreinte environnementale. L’obtention de la certification Green Key figure parmi nos priorités dans les mois à venir. Cette référence internationale repose sur des actions concrètes telles que l’optimisation de la consommation d’énergie et d’eau, la réduction des déchets, l’utilisation prioritaire de produits locaux et la sensibilisation des clients et du personnel aux pratiques écoresponsables. Un de nos objectifs d’ici la fin de l’année est de réduire de 75 % les déchets hôteliers envoyés en décharge.
Par ailleurs, notre partenariat avec l’ONG Reef Conservation nous permet de contribuer activement à la préservation des coraux du lagon de Pointe d’Esny et de ceux du parc marin de Blue Bay. La plus récente de nos initiatives, l’installation de bouées d’ancrage dans le lagon de Pointe d’Esny, vise à protéger les coraux des dommages causés par les ancres de bateaux.
Loisirs : valoriser le patrimoine

Beau Vallon Leisure, encore à ses débuts, aura pour mission de valoriser la région et ses paysages exceptionnels, entre montagnes, rivières et lagon. Ce pôle s’appuiera sur des activités sportives, de découverte et écotouristiques. Nous avons déjà lancé le Beau Vallon MTB Challenge et le Trail du Chemin Français, qui attirent chaque année des centaines de participants.
A terme, nous envisageons de développer des circuits non-motorisés en pleine nature ainsi que des itinéraires à la découverte de notre riche héritage historique et culturel, afin d’offrir une immersion dans l’histoire et la biodiversité de la région à nos compatriotes comme aux visiteurs étrangers.
Engagement social : un impact concret sur la communauté locale

Notre engagement dépasse le cadre de nos activités économiques ; à travers la Beau Vallon Inclusive Fondation, nous soutenons chaque année des initiatives et ONG locales pour un budget qui avoisine les 3 millions de roupies. Nous comptons entre autres parmi les bénéficiaires, Mahébourg Espoir Education Center, Bonheur Associé aux Enfants, et Le Cirque Social de Cité La Chaux, qui œuvrent en faveur de l’éducation et de l’insertion sociale.
2. Quelle est la stratégie du Groupe concernant les terrains dits « en friche » ?
Nous n’avons pas ou peu de terrains en friche qui soient exploitables sur le plan agricole. Nos terres sont soit cultivées, soit en jachère (rotation agricole), ce qui permet de régénérer les sols avant de relancer de nouvelles cultures. C’est une approche rationnelle qui permet de conserver la fertilité des sols et surtout de ne pas les épuiser.
3. Le Groupe produit une part importante des pommes de terre locales. Quelles perspectives pour 2025 ?

En 2024, qui a été une année difficile pour la pomme de terre en raison de la sècheresse notamment, nous avons contribué à hauteur de 11 % à la production nationale de pommes de terre, sur 63 hectares cultivés.
La production reste en effet fortement tributaire des conditions climatiques. Une saison trop sèche peut limiter la croissance des tubercules, tandis qu’un excès de pluie augmente les risques de maladies et d’altération des récoltes. Bien que nous mettions en place des stratégies d’optimisation – choix variétal, gestion des sols, techniques d’irrigation adaptées – la nature demeure un facteur déterminant.
Il est difficile de se prononcer pour la récolte de cette année, les plantations n’ayant pas encore commencé.
Sur le plan économique, l’introduction depuis 2020 d’un prix de vente aux consommateurs fixé par les autorités, ne permet plus d’assurer la viabilité de cette production dans le temps, un grand nombre de producteurs étant contraints de vendre à perte ou à tout juste couvrir leurs frais, ce qui les pousse souvent à l’abandon.
De fait, la production nationale n’a cessé de régresser depuis 2018 (hormis l’année 2022 qui fait figure d’exception), passant de 17,000 tonnes à 13,600 tonnes en 2024, et ne couvre plus que 54% de notre consommation qui elle augmente régulièrement (25,000 tonnes en 2024).
Afin de relancer la production locale, nous pensons qu’il est grand temps de libéraliser les prix de vente de la pomme de terre (de même que ceux de l’oignon qui est dans la même situation) et de laisser l’offre et la demande jouer leur rôle, comme cela se fait pour les autres fruits et légumes cultivés localement ou importés.
Un autre défi majeur concerne la hausse constante du coût des intrants agricoles (semences et fertilisants en particulier) qui pèse sur la compétitivité du secteur.
Nous prévoyons de débuter la plantation de pommes de terre à la mi-mai pour les récolter à partir de début septembre.
4. Le pôle hôtelier a connu une belle performance en 2024. Quelles sont les perspectives et les défis pour 2025 ?

Beau Vallon Hospitality prévoit de clôturer 2024 avec environ Rs 220 millions de bénéfices après impôt. Nous abordons 2025 avec optimisme, tout en restant attentifs aux défis qui pourraient influencer notre performance :
- L’évolution du tourisme mondial : après un rebond marqué par le « revenge travel » où les voyageurs ont multiplié leurs séjours postpandémie, la demande se stabilise et la destination est en baisse comme illustré par les chiffres du premier trimestre 2025. La concurrence s’intensifie, notamment avec des destinations comme les Maldives et les Seychelles qui déploient des stratégies marketing agressives pour attirer les visiteurs, mais aussi l’Asie du Sud-Est.
- L’évolution du taux de change constitue un levier stratégique à double effet. D’un côté, elle améliore notre compétitivité sur nos marchés principaux, en particulier en zone euro. De l’autre, elle entraîne une hausse du coût de certains intrants importés, ce qui appelle une gestion rigoureuse de nos achats et une optimisation continue de nos processus opérationnels. Nous restons attentifs à maintenir un équilibre favorable.
- L’accessibilité de la destination reste un facteur déterminant pour la performance touristique. Bien que les tarifs aériens fluctuent, l’accessibilité de la destination dépend en grande partie des stratégies tarifaires des compagnies aériennes et de leur capacité à maintenir une offre compétitive face aux autres destinations long-courriers. Dans un contexte où les voyageurs deviennent plus attentifs au rapport qualité prix, cet élément jouera un rôle important dans l’attractivité de Maurice.
- Les défis liés à la main-d’œuvre hôtelière : Attirer et fidéliser des talents qualifiés reste un enjeu majeur. Pour répondre à cette problématique, nous investissons dans la formation et l’évolution de nos équipes, afin d’assurer des standards élevés de qualité et d’accueil. Néanmoins, les Mauriciens délaissent de plus en plus l’hôtellerie, avec pour conséquence que la plupart des groupes hôteliers font aujourd’hui appel à la main d’œuvre étrangère pour pallier le manque de personnel.
5. Où en est la phase II de Pointe d’Esny Le Village ? Pourquoi ce projet a-t-il été contesté ?

La phase II du projet Pointe d’Esny Le Village a été partiellement remaniée, sans jamais s’éloigner de la vision initiale : celle d’un développement en harmonie avec son environnement.
À la suite d’un accord conclu avec l’ONG Eco-Sud, 23 arpents (13% du projet) initialement constructibles seront reclassés en espaces non-constructibles et relocalisés sur des terrains adjacents appartenant au Groupe Beau Vallon. Par cette décision, le groupe vient ainsi agrandir davantage le poumon vert déjà présent au cœur du projet. Il propose aussi une zone tampon élargie avec le site Ramsar de Pointe d’Esny. Le reste de la phase II du projet qui comprend villas et appartements n’est pas modifié.
En contrepartie, en sus de la levée de l’objection, cet accord nous a également permis de nous assurer qu’Eco-Sud ne contestera pas les futures phases de développement de Pointe d’Esny Le Village, qui comprennent un projet de golf qui sera conçu selon des pratiques environnementales responsables, ainsi que des villas et un clubhouse. L’accord porte également sur ces différents points.
Cela constitue une avancée significative pour le projet qui continuera à être développé suivant la même philosophie d’intégration et de respect des zones humides et naturelles.
Pourquoi la contestation ?
Eco-sud contestait notamment la législation en vigueur concernant l’étendue de la “buffer zone” autour des zones humides qu’elle ne trouvait pas assez contraignante. Bien que le projet respectât, et allait même au-delà de la législation, nous avons néanmoins choisi d’intégrer des mesures supplémentaires dans l’aménagement de l’espace, afin d’offrir une protection accrue des zones sensibles et de trouver un consensus.
De même, nous avions des divergences concernant une zone agricole plantée en cannes depuis plus de 50 ans par la propriété et que l’ONG voudrait classer en « wetlands ».
Il est bon de rappeler que dès l’origine, le projet s’est appuyé sur des études environnementales rigoureuses, menées par des experts locaux et internationaux. Il a aussi bénéficié du soutien du programme SUNREF, porté par l’Agence Française de Développement, et se distingue comme le premier projet immobilier à Maurice et dans l’Océan Indien, à utiliser le système Triton et à proposer des solutions d’adaptation aux changements climatiques.
Pointe d’Esny le Village est également le premier projet dans l’île à entreprendre la restauration d’envergure d’une zone humide dégradée au cœur de son développement.
Cet accord marque une avancée positive et démontre qu’un dialogue ouvert peut conduire à des solutions concrètes et équilibrées pour le projet comme pour la nature et la région.